|
|
|
|
|
|
|
Téléchargez
3 fonds d'écran 1024/800 pixels
|
| | |
Je
hais cette ville.
Son univers de béton, ses habitants pressés,
malpolis, presque inhumains. Quelques années passées à
y travailler m'ont appris à la détester. Pour le reste de l'univers,
c'est la plus belle ville du monde, notre beau pays n'est que cette ville sans
rien d'intéressant autour. Pouah.
Cliquez
sur les photos pour les agrandir !
|
En
la quittant enfin pour d'autres horizons, je m'étais juré de ne
jamais y remettre les pieds... Mais c'était "avant"... Je suis
à présent bien décidé à en goûter les
charmes. Pas de ceux qu'on découvre en rôdant dans d'autres quartiers,
mais de la belle verticalité artificielle que l'on trouve à certains
endroits. | |
| Il
y a quelques mois, Hervé m'a fait le plaisir de m'emmener "visiter"
ce que certains appellent affectueusement "La Grande Dame de Fer". Après
ce saut mythique, nous sommes allés avec Marco tenter notre chance à
un autre endroit, tout aussi majestueux : "La Grande Dame Noire" est
son surnom, et elle est bien défendue : vigiles nombreux, alarmes à
faisceaux infrarouges, barrière de 3m de haut hérissée de
piques acérées... Un lacet emmêlé dans cette dernière
nous a finalement valu une interception du vigile de service, et une redescente
à pieds peu satisfaisante. | |
Nous
y revoilà, Hervé et moi, lacets soigneusement rangés
cette fois-ci. Le vent est calme, le grand parvis servant de posé est désert. "
Bon, on va y aller ? " Comme à mon habitude pour ce
genre de saut, je suis mort de trouille. L'illégalité me met une
grosse boule dans l'estomac, pourtant j'ai la conscience tranquille ! Après
tout je ne fais que voler un peu de hauteur... Et comme à son habitude,
Hervé est complètement zen, ce qui m'angoisse encore plus ! | | |
| Allez,
c'est parti. Je m'avance vers l'entrée,
Hervé fera de même 10 mn plus tard. Je prends mon ticket pour la
visite panoramique et vais vers l'ascenseur, en cherchant à ma joindre
à quelques touristes pour tenter de passer plus ou moins incognito. Je
ne suis qu'un touriste moi aussi ! Devant l'ascenseur, il y a un vigile qui
contrôle les tickets. Tiens, c'est le même qui nous a intercepté
quelques mois auparavant ! Ca commence bien... | |
Les
personnes qui me précèdent montent dans l'ascenseur, je leur emboîte
le pas. Mais le vigile m'arrête : " Non monsieur, pas vous ! "
Mon coeur battait déjà fort, et il fait un gros bond. J'ouvre la
bouche pour essayer d'articuler quelque chose, mais rien ne sort, j'écarte
les mains en signe d'innocence... Dans une de mes mains, il y a mon ticket pour
l'ascenseur, le vigile le voit et me fait signe de monter : il croyait juste que
je voulais passer sans ticket ! Première alerte, premier soulagement. De
courte durée. | | |
Je
m'installe dans l'ascenseur au milieu des touristes, immédiatement le vigile
me dit : " Qu'est-ce que vous avez dans votre sac ? " - "
Heu... Un harnais d'escalade, je viens de l'acheter... " - " Faites
voir ! " | | |
| Certainement
cramoisi jusqu'aux oreilles, je commence à enlever les bretelles de mon
sac. Comme l'ascenseur est plein, ça m'oblige à pousser un peu mes
voisins, évidemment ça ne leur plaît pas. Voyant ça,
le vigile me dit : " C'est bon, ça va ! ", et reste en dehors
de l'ascenseur, laissant les portes se fermer. Deuxième alerte, deuxième
soulagement. De très courte durée. | |
| | Avant
que les portes ne se ferment complètement, je vois le vigile décrocher
un téléphone sur le mur. A présent, je sais que quand les
portes s'ouvriront à nouveau, un autre vigile m'attendra... Pendant
les quelques instants que dure la montée, j'essaye de retrouver mon calme
et d'avoir l'air détendu. Impossible, évidemment. Les portes
s'ouvrent, les touristes sortent de l'ascenseur et moi aussi. Nous voici arrivés
à l'étage panoramique orné d'une baie vitrée à
360°. Pour y accéder, tout le monde passe devant un autre vigile à
la sortie de l'ascenseur. |
Ca
ne rate pas, il me demande ce qu'il y a dans mon sac. C'est là que
j'ai une idée lumineuse pour reprendre le dessus et ne pas subir la confrontation
: - " C'est un harnais d'escalade, je l'ai déja dit à votre
collègue en bas. Mais si c'est un problème, je peux vous le
laisser le sac ! " (devant tant de bonne foi, le vigile me laissera certainement
passer...) - " Oui, laissez-moi votre sac, merci... "
Et
meeeerde ! Me voilà propre. |
| Sans
broncher, je dépose mon sac aux pieds du vigile et m'avance nonchalemment
vers les fenêtres, comme un bon touriste qui vient de satisfaire à
un contrôle de sécurité anodin en ayant la conscience tranquille,
et qui va profiter de la visite. Mais si le vigile entendait les battements
de mon coeur à cet instant, il se couvrirait les oreilles tellement ils
font du bruit... D'ailleurs il doit les entendre, car arrivé à un
coin de la baie vitrée, je me retourne et le vois qui me regarde d'un oeil
soupçonneux... | |
| Il
est temps d'informer mon compère des beaux draps dans lesquels je suis. -
" Allô Hervé ? Bon c'est la merde : je suis en haut mais je
me suis fait questionner et j'ai dû laisser mon sac à un vigile !
" - " Heu... Tu penses pouvoir
le récupérer et sauter ? " - " Mmm... J'y réfléchis
et je te rappelle ! " - " OK, en attendant je reste en bas, inutile
d'essayer de monter si je suis sûr de me faire choper ! "
| |
| Me
voilà seul.
La solitude, dans le contexte du base,
m'a toujours fasciné de part ses multiples facettes : on est toujours seul
à tirer la poignée, seul à faire face à une malfonction,
seul à manoeuvrer la voile sur un posé délicat... Même
si on est entouré de sauteurs ou de spectateurs. | |
Ici,
malgré la présence rassurante d'Hervé au téléphone
et les nombreux touristes au même étage que moi, je me sens complètement
seul. Sentiment souvent exaltant, mais à cet instant précis, angoissant,
presque désespérant. Comment
vais-je me sortir de ce mauvais pas ? Comment récupérer mon sac
et sauter ? Au bout de quelques instants, une solution possible se profile dans
mon esprit. Risquée, mais faisable. Et ça devient vraiment un saut
de brigand
| | |
| Suis-je
vraiment " taillé " pour ce genre de saut ? | |
| Avec
cette dernière question, d'autres m'assaillent : n'ai-je pas tort de vouloir
tenter ce saut de cette manière ? N'est-il pas préférable
de sauter dans le cadre d'évènements légaux, fades mais tranquilles
? Une fraction de seconde passe,
puis la réponse fuse dans mon esprit, elle est claire, nette, sans appel.
Non. Je ferai ce saut en pirate ou ne le ferai pas,
c'est ma manière de le mériter. Ai-je raison, ai-je tort ? Peu importe,
l'essentiel n'est-il pas d'écouter son instinct ? | |
| Allez,
lopette. En avant. Remettre la main sur mon sac, et puis
Mais
où est-il, mon sac ? Plus là où le vigile l'avait laissé
en tout cas
Je demande à un autre vigile : " Ah, il faut voir
ça avec le gérant, le sac est dans son bureau ! " Aïe,
ça se corse. Le gérant, c'est le grand là-bas, en costard.
Va pas être facile à embobiner, celui-là, déjà
que j'y arrive pas avec les autres
| |
| -
" Bonjour, je voudrais récupérer mon sac que j'avais laissé,
s'il vous plaît
" - " Oui, c'est quoi comme sac ?" -
" Heu, bin, un gros sac, bleu marine
" - " Aaaaah, d'accord,
je vois. Et il y a quoi dans ce sac ? " - " Heuuu, un harnais d'escalade
" - " Aaaaah bon. On me l'a présenté comme étant
un parachute ? " | |
| Gling.
Le fusible saute, arrêt du cur. Une blonde aux attributs avantageux
va-t-elle sortir du néant pour me ranimer ? Non, sûrement pas. Réagis,
bon sang ! | |
| -
" Heu, je n'ai ouvert mon sac à aucun moment, comment on a pu vous
dire ça ? " - " Bon, venez dans mon bureau, vous allez l'ouvrir
et me montrer ça ! " | |
On
ne peut pas dire que ça s'arrange. Me voilà dans le bureau du gérant.
J'ouvre le sac d'une main tremblante et bafouille une description de mon "
harnais rembourré ". Le gérant plonge une main dans le sac,
et saisit mon piège par le côté. Il tâte le " rembourrage
". Quelques secondes se passent, interminables. Nous sommes tous les deux
penchés sur mon sac. Si je lève la tête, si je croise son
regard, là c'est fini, je suis fait. Ce matin, j'étais préparé
moralement à me faire confisquer mon matos : ce qui va m'arriver est pire,
je vais me le faire confisquer sans même avoir sauté ! | | |
| Quand
soudain IL intervient... C'est sûr, maintenant
je sais qu'IL existe...
Ce miracle ne peut
être le fait que du dieu du base : le téléphone du gérant
sonne ! | |
| -
" Allo ? " - "
" - " Des journalistes de
M6 ? Non, je veux pas les voir ! " - "
" - "
Non, écoute, j'ai déjà vu ceux de TF1 tout à l'heure,
j'ai rien à leur dire ! " | |
Apparemment
l'affaire est d'importance, il a l'air en colère. Peut-être est-ce
ma chance ? Je manifeste une certaine envie de m'en aller, peut-être
va-t-il me laisser partir ? Il jette un coup d'il de mon côté
Et dit au téléphone : - " Je suis occupé, là,
tu peux me rappeler dans 5 minutes ? " Et merde, raté, il va me
finir tranquillement. Mais son interlocuteur ne le lâche pas, ça
doit vraiment être grave cette affaire ! Ca dure encore quelques instants,
et je manifeste à nouveau quelques signes d'impatience
Il me rejette
un coup d'il
- " Quitte pas une minute ! " Et se tourne
vers moi en me tendant la main
- " Bon,
monsieur, au plaisir, allez-y. " | | |
Je
bafouille quelque chose pour exprimer mon soutien vis-à-vis de son problème.
Il me regarde bizarrement. J'en ai peut-être trop fait, là ! Non,
c'est bon, il me laisse partir. | | |
| J'empoigne
mon sac et je sors du bureau. Personne sur ma droite, vigile un peu plus loin
mais il me tourne le dos. Hop, je monte dans l'escalier. Piège sur le dos,
barrière, je suis au bord du vide. L'alarme s'est déclenchée
et le vigile (toujours le même que la dernière fois !) m'interpelle
: " Monsieur, sautez pas, ils vont me virer
" Coup bas, mais je
l'ai prévu. Je sors mon téléphone. Je vais prendre son numéro,
je l'appellerai après le saut pour m'assurer que tout va bien pour lui.
Si besoin j'irai m'expliquer. Mais il a déjà fait volte-face et
rentre à l'intérieur du bâtiment. Bon,
il n'y a plus qu'une chose à faire, celle pour laquelle je suis venu ! Un
coup d'il en arrière. Les touristes se pressent sur la terrasse,
caméras et appareils photos braqués. Moi qui n'aime pas trop qu'on
me regarde, je suis servi ! | |
| Une
bonne expiration. Allez BASE ! Départ
en courant sur le coin de l'immeuble. Le
visuel est foudroyant. La grande face noire en forme de V aplati défile
sous moi, les fenêtres brillent. Quelques secondes d'éternité. Une,
deux, trois
Il est temps de mettre fin à ce bonheur. La voile s'ouvre
doucement, dans l'axe. Tiens, y a du vent de travers qui s'est levé depuis
tout à l'heure, c'est vrai qu'il s'est passé un bout de temps ! | |
Posé,
échappatoire. Les vigiles qui ont accouru au pied du parvis dès
mon posé ont curieusement fait demi-tour, et ne réapparaissent que
quand je suis bien à l'abri. Un miracle de plus. Je
retrouve Hervé en bas. Un regard échangé suffit à
exprimer ce que je ressens. Rien ne sert de parler, d'expliquer, il a déjà
vécu bien des fois ce qui vient d'être une émotion unique
pour moi. | | |
| Je
n'aimerai jamais cette ville
Mais aujourd'hui, là je suis
d'accord, c'est vraiment la plus belle du monde !!!
| |
|